
la rosée du matin
s’évapore.
(poème de mort de Fu-So, 1886)
Une coutume très répandue au Japon consiste à rendre hommage à une personne défunte au cours d’une cérémonie lors de la mise en cercueil, ensuite avant et au moment de la crémation (ou de l’enterrement) puis, à nouveau, à l’occasion des anniversaires du décès *.
Cette coutume suit les rituels bouddhistes millénaires évoqués plus bas.
Malgré (ou grâce à) son caractère bouddhiste, nous pouvons témoigner qu’elle est tout à fait transposable en Europe sans en perdre l’essence qui est de transmettre la paix de l’esprit dans le cœur des personnes présentes. Elle est ainsi une alternative possible, et parfaitement réaliste, aux rituels religieux ou laïques auxquels nous sommes habitués en Belgique.
Cet article est là pour évoquer tout ça.
Si vous souhaitez plus d’explications ou si vous avez des questions, n’hésitez pas à nous le faire savoir.
* D’autres cérémonies existent, par exemple pour soutenir des personnes en grande difficulté physique ou psychique (kito), voir et abandonner notre karma passé (ryaku fusatsu), …
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L’éclair et le tonnerre brisent le ciel et le silence, la mort surgit sans prévenir.
L’esprit des funérailles dans le bouddhisme zen :
Dans le bouddhisme zen, ces cérémonies donnent l’occasion à la famille, aux proches, à l’assemblée de se rappeler que la mort fait partie intégrante de la vie et peut survenir à tout moment, du jour au lendemain, sans prévenir. Elles permettent de se souvenir des liens qu’ils ont tissés avec le défunt et de les revivifier dans leurs cœurs. En rappelant les traces qu’il a laissées dans sa vie, parfois malheureuses, parfois heureuses, elles peuvent apporter un moment de réflexion et une prise de conscience ; ainsi ce qui subsiste du défunt se perpétue à travers les vivants. Elles permettent de parler à la personne décédée, pour prolonger encore quelque temps sa présence parmi eux et prendre le temps de lui dire au-revoir. Enfin, elles donnent la possibilité de faire le point sur ce qui est important dans la vie, les valeurs, les actes et paroles justes, une éthique de vie responsable et respectueuse.Ces cérémonies sont magnifiques. Elles visent à réaliser la symbiose entre les participants et le mort. Elles sont d’une grande pureté ; elles expriment l’harmonie, une profonde délicatesse, une véritable poésie qui sont sources de paix pour le cœur des gens. Elles soulagent les souffrances, apaisent les colères, allègent la lourdeur, tout ce qui a pu être laissé par le départ parfois abrupt, parfois interminable du défunt. Elles donnent la force de continuer à vivre, par exemple en perpétuant le souvenir de la personne qui est partie.
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La vague qui se couche sur le sable retourne paisiblement à l’océan sans laisser de traces.
Quelques explications sur les différentes cérémonies :
Ces cérémonies sont préparées avec la délicatesse et la minutie qui caractérisent le zen ; elles sont ritualisées et expriment une profonde symbolique ; elles sont harmonieuses et personnalisées. S’y exprime le Dharma sous forme de sutra (enseignements du Bouddha) et de dharani (sortes d’incantation) remontant au temps où le bouddhisme était en Inde.
Le doshi (la personne qui officie) suit un rituel spécial, notamment en offrant de l’encens régulièrement, en disant un hōgō (paroles du Dharma), en faisant des prosternations ; par moments, il explique les différentes étapes à l’assemblée. Chaque chant est suivi d’un eko (dédicace) chanté en français par le inō d’une voix mélodieuse et bienveillante ; ces eko sont vraiment très poétiques ; les métaphores et analogies qui s’y expriment touchent le cœur des gens (cf extraits en citation). La grosse cloche (keisu), le mokugyo et la petite clochette (inkin) créent l’unité entre le défunt, les officiants, la famille et l’assemblée.
Des objets ayant appartenu au défunt (lunettes, livre, verre de bière, chapeau, …) sont disposés à côté de l’urne ou du cercueil pour rappeler sa présence à l’assemblée.
Les cérémonies sont faites “à la carte” selon les demandes de la famille et, souvent, une partie seulement de ces rituels est réalisée.Par exemple, il peut y avoir une cérémonie au domicile du défunt, au moment de la mise en cercueil, puis juste avant que ce dernier soit fermé (ce qui est souvent l’occasion de remettre au mort une dernière offrande) et emmené vers le lieu de la crémation ou de l’enterrement (“vers le sommet de la montagne”). Si la famille le souhaite, ou si le défunt en avait exprimé l’intention, il est possible de lui transmettre les préceptes lors d’une cérémonie de jukai (transmission des préceptes). Ou encore de rappeler les préceptes au mort s’il les a reçus de son vivant. C’est alors aussi un moment de purification de ses actes et karma passés.A l’endroit de l’enterrement ou de la crémation, une autre cérémonie est destinée à aider le défunt à “passer sur l’autre rive” puis à l’amener au “sommet de la montagne” ; c’est un moment très fort, en quelque sorte une crémation symbolique, où le doshi aide le défunt à quitter ce monde.
Une dharani peut ensuite être chantée en boucle au moment où l’assemblée vient offrir de l’encens précieux pour s’incliner devant le mort et lui faire un dernier au-revoir, puis devant la famille et les proches.Au moment même de la crémation ou de l’enterrement, un dernier sutra peut être chanté pour transmettre la paix et le silence au mort et lui permettre de se fondre dans l’univers.Enfin, il arrive que la famille ou les proches demandent de faire une cérémonie à l’occasion de l’anniversaire de la mort du défunt. C’est alors le moment de commémorer sa vie et de revivifier les liens dans le cœur des personnes présentes.


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Comme le souffle d’une douce brise, comme une fleur qui s’ouvre et libère ses arômes, puisse le défunt continuer sa route en toute paix.
Un exemple :
La semaine passée, nous avons été contactés par une famille belgo-japonaise pour faire une cérémonie dans les Ardennes pour la crémation du papa (belge) avec la famille et les proches, puis une autre, commémorative, à Liège pour l’hommage public devant son urne.
Nous avons mis sur pied les déroulements, textes chantés, dédicaces, répartition des rôles ainsi que l’organisation avec la famille et les deux centres funéraires.
Nous avons offert de l’encens précieux et chanté les sutra, dharani et eko lentement, avec gratitude et humilité. La famille puis l’assemblée ont pu offrir de l’encens puis s’incliner devant l’urne et ensuite devant les proches.
Ça a été une expérience inoubliable. Nous avons eu de nombreux remerciements des membres de la famille et différentes personnes de l’assemblée sont venues témoigner de la paix qu’elles avaient ressentie.
Nous n’avons plus le même regard sur les cérémonies funéraires.
Voici deux photos (avant que la famille et l’assemblée arrivent) :
