Retour vers le silence

(Editorial d’Olivier Wang Genh, président de l’Association Zen Internationale – Journal Sangha – Avril 2021)

Depuis maintenant un an, nous sommes passés par tous les états émotionnels que provoquent les grands bouleversements, qu’ils soient d’ordre privé ou collectifs : scepticisme, doutes, peurs, sidération, colère, désespoir, déni, rage, colère, révolte, … pour finir par les pires : la résignation et la démission.

Tous les lieux de pratique ont dû fermer au printemps dernier, ensuite rouvrir sous certaines conditions, puis en juin, ont pu accueillir plus de monde, pour finir par se refermer progressivement à l’automne et l’hiver…

MAIS !

Mais heureusement, toutes les sangha ont su mettre en place les moyens pour garder le contact et protéger les liens de la sangha avec intelligence et créativité. Que ce soit à travers des pratiques communes mais à distance, des connexions internet ou des réseaux sociaux, des façons improvisées de pratiquer ensemble, le gyoji [1] ne s’est pas arrêté et les différents confinements ont été vécus par beaucoup d’entre nous comme une retraite.

Outre le zazen, une autre pratique essentielle a pu être partagée : le dana paramita, la pratique du don silencieux. […] C’est l’occasion de vous redire à tous un immense merci et de partager ce profond sentiment de gratitude pour votre générosité !

Aujourd’hui, même si beaucoup de signes montrent que la situation à moyen terme devrait revenir à des conditions plus favorables, il y a toujours une grande incertitude pour les prochaines semaines et même les prochains mois. Alors, pour nous permettre de nous retrouver pour pratiquer zazen ensemble, notre tradition dispose d’une « arme anti-covid » redoutable et d’une efficacité remarquable. Une « défense antivirus », une sorte de vaccin naturel, qui se transmet dans le zen Sôtô depuis plus d’un millénaire, qui constitue le cœur même de nos lignées et qui se révèle aussi efficace que les meilleurs des masques chirurgicaux. Une ressource qui protège de toutes les sortes de virus et de germes pathogènes microscopiques et même invisibles …

Et ce remède se résume en un mot :

SILENCE.

Garder le silence, se taire, la boucler, fermer sa gu…., se mettre en pause, arrêter les bavardages, les conversations, les commentaires, les analyses, les solutions et les expertises. Revenir à la tranquillité, au silence intérieur, à la paix en soi et avec les autres. Même avec un masque, garder la bouche fermée !

Un des pères du mokusho zen, le zen de l’éveil silencieux, maître Wanshi Shôkaku, au XIIème siècle, faisait le préalable d’un des plus beaux poèmes de notre tradition : « Dans le silence, tout mot oublié … c’est présent et limpide … »

Qui a fait l’expérience d’un zazen connait la qualité de cette pratique et ses vertus de présence et d’apaisement.

Alors, afin de ne pas tomber dans cette résignation mortifère et paralysante, recommençons à nous retrouver dans les Centres zen où les règles sanitaires deviennent une pratique aussi importante que les règles du zendô et où le silence en constitue le cœur, l’instruction cardinale et l’enseignement essentiel. […] C’est un silence des mots et des papotages intérieurs qui ouvre tous les espaces et anime de nouvelles connexions, souvent inexplorées.

Un retour à la source, tout naturellement !


[1] Gyoji est traduit dans le Shobogenzo de Maître Dôgen par l’expression « le maintien de la pratique pure ». « Gyo » est la pratique pure, le pur faire, le pur agir. « Ji » signifie préserver ou maintenir. Maître Deshimaru, qui, il y a 50 ans, a apporté la voie du zen que nous pratiquons du Japon en Europe, a traduit gyoji par l’expression « répéter la pratique » ou « poursuivre la pratique ». Le gyoji est notre façon de vivre chaque instant avec un corps-esprit unifié, absorbé dans l’activité en question.