Sur le site de la RTBF : Le bouddhisme, philosophie ou religion ?

Le bouddhisme, philosophie ou religion ?

Le bouddhisme est l’objet de toutes sortes de malentendus : il ne serait pas une religion mais une philosophie ; la méditation se réduirait à la pleine conscience ; la compassion ne serait qu’une velléité du coeur. Le spécialiste du bouddhisme Philippe Cornu nous éclaire.

Philippe Cornu est professeur à l’UCLouvain et auteur de plusieurs livres dont le Dictionnaire encyclopédique du bouddhisme et Le bouddhisme, une philosophie du bonheur ? Douze questions sur la voie du Bouddha

Pour Philippe Cornule bouddhisme est une religion avec une prédominance de l’aspect ‘voie spirituelle’, qui privilégie le chemin individuel. Il ne concerne pas l’aspect institutionnel, social. Ce n’est donc pas une religion qui a une emprise directe sur la société. 

C’est une religion non-théiste mais qui n’est pas pour autant athée : les dieux sont tolérés, mais pas vénérés. Elle met en avant l’esprit pour présenter le monde, agir avec le monde. Elle insiste sur l’intériorité, sur l’observation de soi-même et de ses réactions, plutôt que sur l’instauration de règles et de commandements extérieurs. Elle établira plutôt des recommandations.

La transcendance du bouddhisme est à trouver à l’intérieur de nous-mêmes. Mais nous sommes tributaires de toutes nos croyances et illusions fabriquées à partir d’une incompréhension fondamentale de notre existence.

Nous vivons dans une société qui pense qu’il faut toujours apporter plus. Nous sommes constamment dans l’avoir, or il est évident que ce n’est pas l’avoir qui nous donne notre être. L’être, c’est justement se dépouiller d’un avoir superfétatoire qui ne nous apporte pas grand chose, c’est être au présent dans sa vie.
 

Le bouddhisme ou les bouddhismes ? 

Philippe Cornu est partisan du singulier. Même s’il existe plusieurs écoles du bouddhisme, 5 ou 6 au Tibet, une douzaine au Japon, les grands principes fondamentaux de l’enseignement du Bouddha sont partagés, dans un dogme commun minimal. Il inclut les 4 vérités des nobles, sur la souffrance, ses causes et ses remèdes, ainsi que les 4 sceaux.

Les enseignements du Bouddha sont attestés par la pratique. L’expérience naît de la pratique méditative et de la pratique de la vie. Si le Bouddha dit des choses qui sont justes, on doit pouvoir les vérifier dans sa vie, et ne pas devoir attendre après sa mort. Il faut valider cette expérience par les enseignements donnés dans le texte et, s’il y a des maîtres vivants, aller les voir pour vérifier son expérience.


A la recherche du nirvana

Philippe Cornu définit le nirvana comme l’au-delà de la souffrance, l’au-delà de l’état d’existence douloureux. C’est un apaisement suprême par l’éradication des causes de la souffrance à travers le chemin spirituel.

Tout le monde peut l’atteindre. La première étape est une expérience fugace dans la pratique, l’étape suivante étant la réalisation, qui s’installe dans la durée. Quand toutes les réalisations spirituelles convergent et se stabilisent, c’est l’éveil. Le nirvana pleinement atteint se passe à ce moment-là.

La croyance au ‘moi’

L’ego est considéré comme une activité dans le bouddhisme. C’est un processus : comme nous ne savons pas qui nous sommes vraiment, nous nous accrochons à ce que nous pouvons, nos souvenirs, nos émotions passées… Nous nous étiquetons avec ce moi, qui est sans cesse renouvelé puisque nos pensées, nos sensations, nos émotions changent constamment, notre corps évolue tout le temps. Ce moi nous permet de nous arranger avec les choses pour essayer d’exister tant bien que mal.

Quand on se débarrasse de cette croyance au moi, on se débarrasse petit à petit de tous les conditionnements qui nous aliènent dans notre existence. On rejoint alors notre nature fondamentale, la nature de Bouddha, un état inconditionné de l’esprit, au-delà du temps. Philippe Cornu parle plutôt de déblayage que de construction, car on ne construit pas l’éveil puisqu’il est inconditionné.


La mort et le bouddhisme

Pour le bouddhisme, la mort est la désagrégation des phénomènes qui se sont agrégés au moment de la conception et de la naissance. La mort n’est pas l’opposé de la vie, c’est l’opposé de la naissance. Ce qui a convergé se désagrège lorsque les forces sont épuisées. Mais le principe spirituel va aller se recomposer sur d’autres supports. La mort n’a pas d’existence en soi, c’est simplement un changement d’apparence. 

En même temps que le corps s’effondre, les constructions mentales s’écroulent et on arrive à une simplification de l’esprit, c’est l’esprit de claire lumière, l’éveil. On peut l’expérimenter par exemple par le yogi tantrique, de manière à se préparer au grand passage.

La réincarnation n’a pas de sens dans le contexte bouddhiste, car elle signifierait qu’une âme substantielle passerait d’un corps à l’autre.


La méditation 

Philippe Cornu est méfiant par rapport à la méditation de pleine conscience, qui est pour lui une instrumentalisation des méthodes de méditation bouddhiste, pour des buts secondaires : aider les gens à se déstresser, à ne pas subir la souffrance,… L’usage en entreprise par les coachs, ou ‘gourous d’entreprises’, par exemple, se justifie uniquement par la rentabilité. 

La méditation sert à faire un travail sur notre esprit, à débrancher tous les mécanismes toxiques que nous avons à l’esprit, en observant ce qui se produit sans y réagir. Mais la méditation bouddhique va beaucoup plus loin.

https://www.rtbf.be/lapremiere/article/detail_le-bouddhisme-philosophie-ou-religion?id=10232568