La pratique de préparer la nourriture, la recevoir et la manger

Nous devrions faire de nos repas notre pratique

D’après les éléments essentiels de « Tenzo Kyokun (Instructions pour le cuisinier Zen) » et « Fushuku Hanpo (Le Dharma de la consommation de nourriture) » par Rév. Tatsuzen Sato, professeur à l’Institut universitaire Ikuei

1. Les aliments sont la vie

Manger est pour nous l’activité la plus fondamentale afin d’entretenir notre vie. Nous ne pouvons passer une journée en nous dispensant de manger. Les pratiquants du bouddhisme zen ne constituent pas une exception.

L’éveil ne signifie pas que le Bouddha se transforme en un être spécial. Le mot « Bouddha », qui signifie « être éveillé », a également le sens de « devenir conscient ». Le Bouddha a quitté l’endroit qu’il habitait pour faire face aux problèmes fondamentaux de la vie tels le vieillissement, la maladie ou la mort. Il a pris conscience de la vérité de notre vie. Il a profondément réalisé que toutes les vies de ce monde sont liées les unes aux autres et ne peuvent rester dans le même état indéfiniment, étant vouées à prendre fin.

Nous sommes étroitement liés les uns aux autres. C’est exactement pour cela que nous devons vivre en paix. C’est ce que le Bouddha a considéré comme très important. Il a souligné l’esprit de compassion qui se manifeste par la sympathie. Outre les êtres humains, il a également montré un cœur de compassion envers les animaux et les plantes, en particulier ceux qui servent à nous nourrir.

2. Les enseignements de Bouddha sur l’alimentation

Nous sommes ici confrontés à une question épineuse. Pour nous permettre d’entretenir notre propre vie, nous devons porter à notre bouche d’autres formes de vie telles que celles d’animaux et de plantes. Cela signifie que notre existence n’est possible qu’au prix de précieuses vies animales et végétales.

Ainsi, le Bouddha a sérieusement considéré le fait de manger comme la question de comment vivre. « Ce que nous mangeons » est évidemment une question importante, mais le Bouddha a aussi porté la plus grande attention à « la façon dont nous nous nourrissons ». L’un des exemples est son enseignement concernant shomyojiki et jamyojiki. Il a ainsi mis en question la façon de produire et d’obtenir de la nourriture. Shomyojiki désigne les aliments obtenus en prenant la bonne voie et qui sont bénéfiques pour entretenir la santé du corps et de l’esprit. Au contraire, jamyojiki sont les aliments obtenus en faisant ce que nous ne devrions pas faire, ou en trompant les autres.

Aujourd’hui, nous employons toutes sortes de produits chimiques pour améliorer la productivité agricole et la croissance des légumes et du bétail, sans nous soucier de la saison ou du lieu. Si nous poursuivons ce type d’alimentation encore longtemps, ne risquons-nous pas d’être confrontés à des problèmes de santé ? Comme nous recevons la vie précieuse des animaux et des plantes comme aliments, nous devons manger de façon à en faire la meilleure utilisation possible.

3. Les enseignements de Dogen Zenji sur l’alimentation

Ce fut Dogen Zenji qui approfondit encore les enseignements du Bouddha sur l’alimentation. Il écrivit Tenzo Kyokun et Fushuku Hanpo et décrivit de façon concrète et détaillée ce qu’un cuisinier zen, le tenzo, doit garder à l’esprit, et ce dont nous devons avoir conscience lorsque nous mangeons.
Dans Tenzo Kyokun, il écrivit au sujet d’une considération attentive, allant de la façon de cuire les aliments afin de tirer le meilleur parti des ingrédients, à la manière de préparer et conserver ces ingrédients. Dans Fushuku Hanpo, cela va sans dire, l’action de manger est effectuée avec gratitude, et Dogen Zenji décrivit en détail des règles de vie telles que la nécessité d’avoir l’esprit et le corps sain et d’accorder de l’attention aux personnes qui mangent ensemble.

Par exemple, dans Tenzo Kyokun, quant à la manière de laver le riz, Dogen Zenji conseille:

… lors de l’examen du riz, cherchez d’abord le sable; lors de l’examen du sable tamisé du riz, cherchez le riz …
… lorsqu’il fait tremper le riz pour le repas de midi, le cuisinier ne doit pas s’éloigner de l’évier. Gardez un œil sur tout, afin de ne pas perdre même un seul grain …

Nous devons déployer tout ce soin, car la cuisine peut nous amener à développer un sentiment de gratitude par une profonde reconnaissance pour la source de la vie des ingrédients et un sentiment d’empathie par une profonde reconnaissance pour la vie de ceux qui mangent.

Dans Fushuku Hanpo, il décrit le soin minutieux que nous devons avoir en mangeant:

… ne faites pas de bruit en mâchant la nourriture. N’avalez pas les aliments bruyamment …
… si vous avez quelque chose de coincé entre les dents, vous devriez couvrir votre bouche…
… évitez de vous agiter, de tenir vos genoux, d’être avachi par terre, de bâiller ou de renifler bruyamment …
… ne parlez pas la bouche pleine…

Ces pratiques nous invitent à développer un sentiment de gratitude et d’empathie par une profonde reconnaissance envers la vie des ingrédients, la vie de ceux qui ont préparé ces aliments et la vie de ceux qui mangent ensemble.

Ce ne sont là que quelques exemples, mais tous nous surprennent, car nous jouissons aujourd’hui de nourriture en telle abondance que nous oublions facilement de la traiter avec soin, ou d’avoir un sentiment de gratitude. Nous répétons chaque jour cuisine et repas, et ces activités peuvent devenir si anodines pour nous. C’est pourquoi si peu de gens sont attentifs à la véritable signification de la préparation des repas et du fait de manger. Toutefois, l’activité de se nourrir, qui est indispensable pour notre vie, a une signification essentielle – c’est-à-dire que nous recevons la vie des animaux et des plantes. Par conséquent, l’attitude lors de la cuisine et de l’alimentation est assurément liée à l’entretien de notre esprit et de notre corps.

4. Esprit Joyeux, Esprit Parental, Esprit Magnanime et Les Cinq Contemplations

Dans Tenzo Kyokun, comme un condensé de ce sens, Dogen Zenji nous enseigne qu’il est important d’avoir l’Esprit Joyeux, l’Esprit Parental et l’Esprit Magnanime. L’Esprit Joyeux est un esprit qui se réjouit de la chance de pouvoir exercer la formidable fonction de Tenzo. Une personne qui devient Tenzo doit s’investir dans la cuisine avec l’Esprit Parental, semblable aux parents qui s’occupent avec tendresse de leurs enfants. Et l’Esprit Magnanime est la capacité de tout considérer de façon égale.

Comme il est indiqué dans Fushuku Hanpo, nous récitons le verset des Cinq Contemplations avant les repas :

  • Soyons reconnaissant envers tous les efforts produits pour que ce repas parvienne à nous.
  • Regardons si notre pratique et notre esprit sont en accord avec ce don.
  • Souvenons-nous que l’avidité fait obstacle à la liberté.
  • Voyons ce repas comme un remède qui soutient notre vie.
  • Recevons maintenant cette nourriture pour nous éveiller.

5. La façon de manger est étroitement liée à la façon de vivre

Les gens se sentent aujourd’hui beaucoup plus concernés par la question de l’alimentation. Mais leur attention est surtout tournée vers les aspects nutritionnels, ce qui est peut-être un reflet de cette époque d’insatiabilité. La nutrition est bien entendu importante, mais nous ne devons pas oublier qu’en mangeant, il s’agit de prendre profondément conscience de la vie des autres. Comme le Bouddha nous l’a enseigné, nos vies sont étroitement liées les unes aux autres. A l’heure actuelle nous sommes confrontés à de graves problèmes environnementaux à l’échelle du globe. C’est précisément pour cette raison que nous devrions apprendre beaucoup de choses des enseignements, sur comment manger, comme l’ont enseigné le Bouddha et Dozen Zenji. Nous mangeons non seulement pour satisfaire notre faim, mais aussi pour reconnaître notre propre vie et la vie des autres.

Par conséquent, pour nous, manger est une pratique. Nous pouvons tirer de nombreuses leçons sur la façon de s’attaquer à ces problèmes en approfondissant notre réflexion sur comment manger avec soin chaque jour.