Baika – fleurs de prunier

L’adoration de Dogen Zenji pour baika (les fleurs de prunier)

Le prunier est un arbre à fleurs. Il a été ramené de Chine au Japon par des délégations diplomatiques japonaises au cours de la dynastie Tang. Sa floraison au début du printemps est éclatante et son parfum est d’une grande noblesse. Les Japonais l’ont immédiatement adopté et le célèbrent comme une fleur typique du Japon.

Comme l’illustre la phrase « le prunier dégage un parfum à l’état pur après avoir traversé des périodes de froid intense », cet arbre nous offre le pouvoir de vie en survivant à la froideur extrême de l’hiver et en exhalant un parfum de toute pureté au milieu de la neige.

Dans l’Eihei Koroku, vol. 1, n° 34, Dogen Zenji dit :

Si le froid le plus extrême ne pénètre pas dans nos os, comment le parfum des fleurs de prunier pourra-t-il se répandre dans l’univers ?

Lire cela nous montre que, pour Dogen Zenji, baika symbolisait l’épanouissement de quelque chose après avoir surmonté les difficultés.

Dans le Shobogenzo de Dogen Zenji, deux fascicules comportent le nom d’une fleur dans leur titre : Baika et Udonge (fleurs d’udumbara). Comme mentionné auparavant, pour Dogen Zenji, baika est udonge, et les deux sont étroitement liés. Dans le Shobogenzo Baika, le sens de baika représente plus largement l’ensemble des fleurs.
On y trouve écrit la phrase suivante :

Les milliards de fleurs ne forment qu’une même famille de fleurs de prunier.

Pour aller plus loin, on peut affirmer que ce que ressent Dogen Zenji pour baika semble être tout à fait spécial.

Un rêve mystérieux

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Dans le Shobogenzo Shisho, est présent le récit d’un rêve mystérieux sur baika fait par Dogen Zenji durant son pèlerinage dans la Chine de la dynastie Song.

En Chine, lors de ses visites aux temples, Dogen Zenji a pu voir différents shisho (documents de succession/ transmission). Sur la route du retour vers le mont Tiantong, suite à sa visite aux monts Tiantai et Yadang, il s’arrêta au monastère Wannian de Pingtian. Yuanzi, l’abbé, lui montra alors son propre shisho.

Un shisho est une sorte de certificat de transmission du Dharma donné par un maître à son disciple. Ainsi, ce document est uniquement donné aux disciples certifiés par un maître. Il ne doit pas être montré sans raison particulière, même à un disciple proche ou à un vieux moine-assistant.

Cette opportunité fut heureusement donnée à Dogen Zenji car Yuanzi avait fait un rêve mystérieux quelques jours avant la visite de Dogen Zenji à son temple. Dans son rêve, un moine éminent qu’il prit pour le maître zen Fachang du mont Damei apparut. Il tenait à la main une branche de prunier en fleur. Il lui dit : « Si tu rencontres un homme véritable venu par bateau, ne lui refuse pas ces fleurs » et ce faisant, il lui donna les fleurs de prunier. Curieusement, cinq jours ne furent pas passés que Dogen Zenji arriva par bateau pour rencontrer Yuanzi.

Le shisho étant écrit sur de la soie aux motifs de fleurs de prunier, Yuanzi interpréta son rêve comme une prophétie lui intimant de montrer son shisho ou de transmettre le Dharma. Conformément à son rêve, il montra volontiers son propre shisho à Dogen Zenji. Il lui dit : « Puisque vous êtes sans doute la personne prophétisée par Damei, j’ai sorti ce document pour me conformer au rêve. Voulez-vous hériter de mon Dharma ? Si vous le voulez, je ne pourrais vous le refuser. » Dogen Zenji aurait pu alors demander à recevoir le shisho de sa part, mais il ne le fit pas. Par contre, il offrit de l’encens et se prosterna. Un préposé à l’encens qui était présent déclara que c’était la première fois de sa vie qu’il voyait un shisho.

Dogen Zenji fit à son tour un rêve mystérieux, qui est relaté dans le Shobogenzo Shisho :

En revenant du mont Tiantai à Tiantong, je fis halte dans l’hôtellerie du monastère Husheng sur le mont Damei. Là, j’ai rêvé que le maître Damei venait à moi et me donnait une branche de prunier aux fleurs écloses. L’image du maître était digne de respect. La branche faisait un shaku1 de long et un de large. Ces fleurs de prunier ne sont-elles pas aussi rares que les fleurs d’udumbara ? Ce rêve semblait être réel. Jamais auparavant je n’ai raconté cette histoire à qui que ce soit, ni en Chine ni au Japon.

Le rêve de Dogen Zenji était le même que celui de Yuanzi. Il eut la profonde conviction que les fleurs de prunier du rêve étaient des fleurs d’udumbara. Suite à cet événement, Dogen Zenji rencontra maître Nyojo, de qui il reçut le shisho.

Fleurs d’udumbara

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Dans la tradition bouddhique, l’udumbara est une fleur qui ne fleurit qu’une fois tous les trois mille ans. L’histoire de Mahakasyapa qui sourit face au Bouddha tenant une fleur est racontée dans la tradition zen. Il y est dit que le Bouddha Shakyamuni prit une fleur d’udumbara entre ses doigts et cligna des yeux. Seul Mahakasyapa manifesta sa compréhension profonde en souriant. Le Dharma fut transmis du Bouddha à Mahakasyapa de cette façon.

Dogen Zenji rédigea dans le Shobogenzo un fascicule intitulé Baika. Il y commente les paroles jodo de son maître Nyojo à propos des fleurs de prunier. La lecture du fascicule nous permet de ressentir toute l’admiration de Dogen Zenji pour le maître zen Nyojo, sa joie en rencontrant son maître véritable et le bonheur intense de recevoir son Dharma directement. Il écrivit :

Les fleurs de prunier dans la neige sont l’émergence d’une fleur d’udumbara. Combien de fois ne voyons-nous pas l’œil du Dharma véritable de notre Bouddha Tathagata, mais nous ne sourions pas, faute de capter son clignement ? À présent, nous acceptons en toute authenticité que les fleurs de prunier dans la neige soient en réalité l’œil de Tathagata.

Pour Dogen Zenji, sa rencontre avec Nyojo est « l’émergence d’une fleur d’udumbara ». Souvent déjà, il avait vu des fleurs de prunier, mais elles n’étaient que des fleurs ordinaires à ses yeux. Après avoir reçu l’enseignement de Nyojo , il réalisa que ces fleurs de prunier étaient en réalité les fleurs d’udumbara qui fleurissent une fois tous les trois mille ans. Avant cela, il ne pouvait pas sourire comme Mahakasyapa car il n’était pas conscient du sermon du Bouddha, qui se révèle à travers les fleurs de prunier tel un clignement de l’œil de Bouddha.

Dès lors, il incarna correctement la transmission du Dharma de Bouddha et put voir les fleurs de prunier comme des fleurs d’udumbara. En bref, il a simplement réalisé que ce soi est le Bouddha et il a découvert la voie à poursuivre dans la pratique du soi en tant que Bouddha.

Le paragraphe cité ci-dessus peut être compris comme une déclaration de Dogen Zenji attestant qu’il a bien reçu la transmission du Dharma de la part du maître zen Nyojo. Ainsi, baika est une fleur étroitement liée à Dogen Zenji. Pour lui, baika est le Bouddha, est Nyojo, et est la transmission correcte du Dharma du Bouddha.

À cause du rythme effréné de la vie quotidienne, ne passons-nous pas à côté du sermon que le Bouddha nous adresse en tout lieu ? Nous devrions prendre le temps de méditer calmement sur nous-mêmes, de vivre une vie dans la foi authentique basée sur la transmission du Dharma du Bouddha telle qu’elle est enseignée par Dogen Zenji et Keizan Zenji (les deux fondateurs) et dans la régulation du corps et de l’esprit.

Ce faisant, un jour, nous serons définitivement capables d’entendre la voix d’une branche de baika.

En 1952, un groupe de pratique des hymnes de la Sotoshu a été créé pour la commémoration du 700e anniversaire de la mort de Dogen Zenji. Son nom est Baika ryu (de style baika). Ce nom revêt une réelle signification.

Version originale écrite en japonais par le Rév. Tairyu Tsunoda
Traduit en anglais par le Rév. Issho Fujita
Assisté des Rév. Tonen O’Connor et Rév. Zuiko Redding